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sábado, 9 de febrero de 2013

CHAGRIN D´ÉCOLE (DANIEL PENNAC)


Article tiré de "Bonjour de France"

http://www.bonjourdefrance.com/blog/




«- Un livre de plus sur l’école, alors? Tu trouves qu’il n’y en a pas assez? 
- Pas sur l’école! Tout le monde s’occupe de l’école, éternelle querelle des Anciens et des Modernes: ses programmes, son rôle social, ses finalités, l’école d’hier, celle de demain… Non, un livre sur le cancre! Sur la douleur de ne pas comprendre, et ses dégâts collatéraux.»

Dès les premières pages du livre, le dialogue entre les deux frères nous révèle l’intention de l’auteur. Avec  Chagrin d’école  Daniel Pennac aborde le sujet de l’enseignement sous un nouvel angle, celui du mauvais élève, angle intéressant et original qui lui permet de nous présenter son propre parcours de mauvais élève en évoquant ses souvenirs et ses années de désarroi et en nous fournissant plusieurs réflexions et anecdotes sur ce sujet. Il parle aussi de l’école, de la famille, de l’échec et de ses élèves sans pourtant vouloir donner, dit-il, « ni méthode ni conseil pédagogique». Pourtant il ne s’agit ni d’une simple narration d’évènements ni d’une énumération d’anecdotes. Pennac a recours à l’humour, à la sincérité et à la tendresse pour décrire le comportement du mauvais élève et parvient à écrire un livre captivant qu’on lit avec beaucoup de plaisir. Mais c’est aussi son style fluide et léger, sa véritable implication dans le métier d’enseignant et son analyse profonde qui rendent son récit original. Car Pennac n’oublie pas qu’il est avant tout un romancier talentueux.

En effet, ce texte est à la fois une autobiographie et un essai sur l’école ou plutôt  «un essai narratif: un mixte entre le roman et l’essai» selon l’auteur. Chagrin d’école revêt le caractère d’une conversation intérieure. Ancien cancre, ancien professeur, écrivain, Pennac nous raconte son calvaire passé et l’angoisse de ses parents face à cet avenir « réduit à rien ». L’auteur y décrit la souffrance d’être considéré comme cancre, lui-même ayant eu cette «étiquette» depuis son enfance jusqu’à l’adolescence :


«Donc, j’étais un mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de ma classe, c’est que j’en étais l’avant-dernier. (Champagne!) Fermé à l’arithmétique d’abord, aux mathématiques ensuite, profondément dysorthographique, rétif à la mémorisation des dates et à la localisation des lieux géographiques, inapte à l’apprentissage des langues étrangères, réputé paresseux (leçons non apprises, travail non fait), je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique ni le sport ni d’ailleurs aucune activité parascolaire. …
« Les bras m’en tombent », « Je n’en reviens pas », me sont des exclamations familières, associées à deux yeux d’adulte où je vois bien que mon incapacité à assimiler quoi que ce soit creuse un abîme d’incrédulité. Apparemment, tout le monde comprenait plus vite que moi. »
Les années scolaires ont donc été tristes et pénibles pour Pennac, tant sur le plan des notes que sur celui du comportement.

Dans Chagrin d’école Pennac nous fait comprendre qu’il y a beaucoup de douleur chez le mauvais élève qui laisse des traces. Il n’est pas toujours facile d’imaginer la vie de cet enfant qui vit dans une profonde solitude, ressent de la honte et a l’impression de ne jamais faire ce qu’il faut. En plus, il doit toujours trouver l’équilibre entre deux mensonges. D’une part, il faut mentir à ses professeurs pour justifier qu’il n’a pas fait ses devoirs et d’autre part il faut répondre à ses parents chaque fois qu’ils lui posent la question: « Comment ça s’est passé aujourd’hui ? ». Il doit toujours inventer de nouvelles excuses c’est pourquoi il finit par s’installer peu à peu dans un monde de refus et de rejet.Pourtant Chagrin d’école n’est pas un livre pessimiste. En fait, Pennac met plusieurs fois l’accent sur l’importance du regard du professeur sur l’élève. Après des journées interminables et des années de souffrance, c’est la rédemption. L’élève malheureux qu’il a été aura la chance inattendue de rencontrer un professeur qui découvrira son talent exceptionnel, qui ouvrira une porte et lui donnera un merveilleux sentiment de liberté. Ce professeur adopte, avec l’élève Pennacchioni (il s’agit du vrai nom de l’écrivain), une approche originale. Au lieu de lui demander d’écrire des dissertations, il lui propose plutôt d’écrire un roman, que le jeune Daniel devra livrer, chapitre par chapitre. Ainsi le mauvais élève parvient à se sauver grâce à une parole positive, un sentiment de confiance partagée car il s’aperçoit qu’il est digne d’amour, qu’il existe aux yeux des adultes et qu’il a de la valeur pour eux. Mais pour y parvenir, il faut qu’il sente un certain amour dans la transmission du savoir : l’amour de l’enseignant pour la matière qu’il enseigne mais aussi son amour pour la classe et pour chaque élève séparément.
Pennac rend hommage à tous ces enseignants-sauveurs dans le chapitre 11 du Chagrin d’école :
«Les professeurs qui m’ont sauvé - et qui ont fait de moi un professeur – n’étaient pas formés pour ça. Ils ne se sont pas préoccupés des origines de mon infirmité scolaire. Ils n’ont pas perdu de temps à en chercher les causes, et pas davantage à me sermonner. Ils étaient des adultes confrontés à des adolescents en péril. Ils se sont dit qu’il y avait urgence. Ils ont plongé. Ils m’ont raté. Ils ont plongé de nouveau, jour après jour, encore et encore… Ils ont fini par me sortir de là. Et beaucoup d’autres avec moi. Ils nous ont littéralement repêchés. Nous leur devons la vie.»



A partir de ce moment, Pennac se donne comme mission de sortir du coma scolaire une ribambelle d’hirondelles fracassées» et de combler l’écart entre deux mondes : celui des élèves et celui des professeurs.

« Nos « mauvais élèves » (élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l’école. C’est un oignon qui entre dans la classe : quelques couches de chagrin, de peur, d’inquiétude, de rancœur, de colère, d’envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu’une fois le fardeau posé à terre et l’oignon épluché. Difficile d’expliquer cela, mais un seul regard suffit souvent, une parole bienveillante, un mot d’adulte confiant, clair et stable, pour dissoudre ces chagrins, alléger ces esprits, les installer dans un pré­sent rigoureusement indicatif. Naturellement le bienfait sera provisoire, l’oignon se recomposera à la sortie et sans doute faudra-t-il recommencer demain. Mais c’est cela, enseigner c’est recommencer jusqu’à notre nécessaire disparition de professeur. Si nous échouons à installer nos élèves dans l’indicatif présent de notre cours, … leur existence tanguera sur les fondrières d’un manque indéfini. Bien sûr nous n’aurons pas été les seuls à creuser ces galeries ou à ne pas avoir su les combler, mais ces femmes et ces hommes auront tout de même passé une ou plusieurs années de leur jeunesse, là, assis en face de nous. Et ce n’est pas rien, une année de scolarité fichue : c’est l’éternité dans un bocal. »
Enfin, Pennac lutte contre les idées reçues et explique ce que l’on peut accomplir si l’on sait faire vivre ce fameux «présent d’incarnation» :
«Il faudrait inventer un temps particulier pour l’apprentissage. Le présent d’incarnation, par exemple. Je suis ici, dans cette classe, et je comprends, enfin ! Ça y est ! Mon cerveau diffuse dans mon corps : ça s’incarne. Quand ce n’est pas le cas, quand je n’y comprends rien, je me délite sur place, je me désintègre dans ce temps qui ne passe pas, je tombe en poussière et le moindre souffle m’éparpille. Seulement, pour que la connaissance ait une chance de s’incarner dans le présent d’un cours, il faut cesser d’y brandir le passé comme une honte et l’avenir comme un châtiment.»
Quelle est donc la conclusion qu’on peut tirer du livre de Daniel Pennac ?
L’échec scolaire n’est pas une fatalité. Il suffit qu’un enfant croise un professeur inspirant qui illumine sa vie et le fascine pour qu’il commence à aimer l’école.
Bref, Chagrin d’école est un livre que j’ai beaucoup aimé car, loin de donner aux enseignants des recettes magiques ou une leçon morale, il traite avec sensibilité un sujet délicat et parvient à toucher profondément le lecteur.


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